Initialement publiée dans l’émission #1
On doit être en 2000 je pense, ou en 2001 peut-être, peu importe. A cette époque, je suis assez traditionnel dans mon approche, voire assez exclusif je dirais.. en fait je découvre, j’apprends, sans trop m’éloigner de ma zone de confort : AC/DC, Les Guns, Metallica, Mercyful Fate, Annihilator, mais pas plus . C’est vrai qu’à cette époque, pas si lointaine mais complètement différente d’aujourd’hui, pas d’Internet, pas de Youtube pour vous suggérer quoi écouter, on lit la presse metal lorsqu’on la trouve, et on se fie à ses potes et à son instinct pour découvrir de nouveaux groupes. On fouille les bacs assez pauvres des disquaires de sa ville, et parfois on craque grâce à une pochette. Je dis parfois parce qu’avec 100 Francs d’argent de poche par mois t’as de quoi t’acheter un album, et pas deux, faut pas se planter.
Soirée arrosée (on est pas sérieux quand on a 17 ans), un pote chancelant me tend une galette.
- LUI : tu connais ? C’est DEATH, un groupe de Death …
- MOI : non, jamais entendu parler, le logo est cool !
- LUI : mets le dernier morceau, JE CITE : “La philosophie elle en prend plein la gueule dans cette chanson”
- MOI : OK
et je m’exécute.
Il me connaît le salaud, il sait très bien que je viens d’en prendre pour 10 ans ! Le morceau en question, c’est The Philosopher, un titre que mon pote avait découvert sur MCM, dans un top metal tard dans la nuit. Dans ce titre, un mélange absolument incroyable et inconnu pour moi de guitares harmonisées mélodieuses et inquiétantes, une voix d’outre tombe, et un riff syncopé que j’ai du mal à comprendre tout de suite. Les soli s’enchaînent, la basse et la guitare se répondent dans un duel féroce, c’est technique et mélodique à la fois, très inspiré, et très accrocheur, malgré le côté clairement extrême de ce morceau.
Après avoir copié sur cassette cette album, je me souviens l’avoir écouté en boucle pendant de nombreuses semaines. Je n’ai pas vraiment envie de chroniquer cet album pour vous, il existe des dizaines d’essais dithyrambiques à son sujet sur la toile, mais je veux juste vous expliquer pourquoi ce disque m’a parlé. A cette époque, je m’essaye à la basse depuis quelques années, je ne suis pas très bon mais pas très mauvais non plus, moyen dirons-nous : je me souviens que la basse de Di Giorgio m’a cloué au mur lors de mes premières écoutes.. c’est quoi ce son, bordel ! Je n’avais jamais entendu de basse fretless sur un album de metal, et une telle liberté dans le jeu : la basse prend les harmonies, joue dans son coin, mais toujours au services des guitares et du morceau, ce n’est clairement pas de la frime mais juste du génie à ce niveau. Non sérieusement, faut jeter une oreille sur le break de Trapped in a Corner pour se rendre compte, ou sur le l’excellent morceau d’ouverture, Overactive Imagination. Sans compter qu’elle est vraiment mise en avant dans le mix, et parfaitement assumée comme un instrument plutôt mélodique que rythmique.
Derrière les fûts, ce bon vieux Gene Hoglan, dont je n’ai bien entendu jamais entendu parler à l’époque, envoie des patterns super inspirés. Je me souviens avoir bloqué sur la double et sur son jeu de cymbales, notamment cette ride hyper présente et très caractéristique de son jeu au final lorsque l’on connaît la bestiole. Entre jeu thrash et death moderne, patterns déstructurés backbeats trash, la batterie est clairement un des attraits de ce disque, j’en découvre encore 20 ans après.
Je me souviens également avoir été totalement bluffé par le travail de guitares sur cet album. En fait, le fait que Chuck Shuldiner ait toujours été fan de Heavy Metal 80s joue ici un rôle déterminant, puisqu’il va embaucher Andy LaRocque à la guitare, un guitariste de génie connu principalement pour sa carrière avec King Diamond. Les guitares sont précises et tranchantes, et occupent le très haut du spectre de fréquences, laissant de la place à la basse et à la grosse caisse. Ce choix leur sera reproché par les amateurs de guitares plus grasses et puissantes en vogue dans le metal à l’époque, mais il est judicieux, car il donne à l’album son caractère mélodique et accessible.
Et c’est là qu’il faut chercher la magie de cet album : il a su trouver un équilibre entre violence et brutalité, que ce soit dans le son comme dans la composition. Il distille çà et là des petites références heavy, parfois presque jazzy comme le faisait son prédécesseur Human, avant de vous asséner un riff thrash dévastateur. Toutes ces bouées de sauvetage ont permis à l’auditeur profane que j’étais alors de se raccrocher à quelque chose de connu, de digestible, de rassurant, comme un enfant trempera précautionneusement un doigt de pied dans l’eau du bain par peur de se brûler.
Individual Thought Patterns aura été très clairement mon premier disque de metal extrême, celui qui m’aura donné envie de creuser le style, d’aller plus loin, d’en savoir plus sur ce style. Ce qui a un côté paradoxal par ailleurs, car lorsque l’on y réfléchit, si celà reste du death metal, le côté mélodique de ce disque lui donne un caractère tout à fait à part, un aperçu totalement faussé du genre. Je me souviens avoir eu du mal à accrocher aux premiers disques du genre que j’allais acheter par la suite, Obituary et autres Morbid Angel, si différents au final de ce Individual Thought Patterns, qui reste pour moi, encore à ce jour, un disque de chevet.